Dans cet entretien, le critique de cinéma Octavio Fraga Guerra revient sur la singularité formelle de Soy Cuba (1964), chef-d’œuvre soviéto-cubain longtemps incompris avant d’être redécouvert comme un monument du cinéma mondial. Il éclaire les raisons de son échec initial, l’importance de sa restauration et sa place dans l’histoire du cinéma cubain.
Qu’est ce qui a motivé la restauration de Soy Cuba ?
Cette œuvre est le résultat d’une coproduction entre Cuba et l’Union soviétique, réalisée par Mikhaïl Kalatozov, mais produite majoritairement à Cuba, avec une très forte implication de techniciens et artistes cubains. C’est un film qui, à son époque, a complètement rompu avec les codes narratifs existants.
Soy Cuba est une œuvre anthologique, radicalement différente de ce qui se faisait alors. C’est un film très expérimental, et c’est précisément pour cela qu’il continue de traverser les époques et d’avoir un impact sur le cinéma contemporain. À mes yeux, toute personne souhaitant se consacrer professionnellement au cinéma devrait connaître ce film.
Pourquoi le film n’a-t-il pas rencontré de succès lors de sa sortie en 1964 ?
Qu’entend-on exactement par « succès » en 1964 ? Le film a bel et bien été diffusé en son temps. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’après sa diffusion initiale, Soy Cuba a quasiment disparu de l’horizon cinématographique, à Cuba comme ailleurs.
Aujourd’hui, il revient en force comme un véritable classique du cinéma cubain. Même s’il est signé par un réalisateur soviétique, nous le considérons comme « notre » film : une œuvre profondément cubaine, jusque dans ses crédits où elle apparaît comme une production cubano-soviétique. Les œuvres naissent dans un contexte donné, avec des sensibilités propres à chaque époque. Et parfois, il nous est difficile, en tant que spectateurs, d’accepter un changement : changement esthétique, changement narratif, transformation dans la manière de raconter une histoire.
Je crois que c’est exactement ce qui est arrivé à Soy Cuba. Sa liberté formelle, son audace visuelle et narrative ont déconcerté un public qui n’était pas prêt pour un tel basculement.
Comment expliquez-vous que le film ait été oublié puis redécouvert des années plus tard?
Cela arrive souvent dans l’art. Il existe beaucoup de films, de livres ou de peintures importants qui, pour diverses raisons, sont mis de côté, oubliés, puis réapparaissent avec encore plus de force.
Soy Cuba a connu une période de circulation, puis a disparu du paysage cinématographique cubain et international. Et puis, un jour, il est revenu, plus puissant, plus admiré, presque revivifié. C’est le destin des grandes œuvres classiques.
Regardez La liste de Schindler, Le Parrain, ou à Cuba, des films essentiels comme Memorias del subdesarrollo ou Lucía. Ce sont des œuvres que l’on revoit plusieurs fois dans une vie, et auxquelles on découvre toujours de nouvelles lectures, de nouvelles nuances. Soy Cuba appartient à cette famille-là.
La restauration a redonné au film une beauté saisissante. Quelle technique a été utilisée ?
La restauration n’a pas été réalisée à Cuba, et je ne peux pas dire précisément où, car je ne dispose pas de cette information. Ce qui est certain, c’est que toute restauration, lorsqu’elle est bien menée, redonne vitalité à un film. Elle permet de le revoir autrement, avec un regard neuf. Et c’est exactement ce qui s’est passé avec Soy Cuba. La restauration en noir et blanc est magnifique, d’une grande pureté esthétique.



