Invitée au Festival International du Film d’Alger, la réalisatrice serbe Mila Turajlić revient sur son travail autour des archives filmées par Stevan Labudović, caméraman de Tito et témoin privilégié de la guerre d’indépendance algérienne. Deux films, un vaste chantier de numérisation et un projet en cours autour de la militante Hélène Mokhtafi : rencontre avec une cinéaste qui œuvre à réveiller une mémoire filmée encore méconnue.
Vous avez consacré deux films à Stevan Labudović, témoin de la lutte algérienne. Comment a commencé cette aventure ?
Je suis venue pour la première fois en Algérie en 2013, invitée par le festival avec mon premier film documentaire. C’est là que j’ai rencontré Stevan Labudović, présent comme invité d’honneur. Cette rencontre a été le début d’un travail commun qui a duré près de trois ans, jusqu’à son décès en 2017.
De cette collaboration sont nés des documentaire. De quoi s’agit-il ?
Deux longs-métrages ont vu le jour : Non Aligné et Ciné-Guérilla. Le premier explore le rôle de Labudović en tant que caméraman du président Tito, qu’il a accompagné dans ses voyages, notamment lors des rencontres ayant conduit à la naissance du Mouvement des Non-Alignés à Belgrade en 1961. Le second film, Ciné-Guérilla, se concentre sur son engagement aux côtés de l’ALN. Envoyé en 1959 pour filmer le maquis à la frontière algéro-tunisienne, il a suivi la lutte jusqu’à l’indépendance puis durant sa première année. Il a également formé les premiers opérateurs algériens et contribué aux cinq premiers numéros des actualités nationales.
Vous travaillez aujourd’hui à la numérisation de son archive filmée. Que représente ce fonds ?
On estime à 83 kilomètres de pellicule les images tournées par Labudović pendant la guerre d’Algérie. Un matériau brut, non monté, conservé à Belgrade dans d’excellentes conditions mais encore non indexé. Je numérise progressivement ces bobines et j’ai apporté à Alger les scans réalisés pour organiser des ateliers d’archives à la Cinémathèque algérienne. Deux sessions ont déjà eu lieu, une troisième se prépare. Ces rencontres permettent de réfléchir collectivement à la manière de valoriser ce patrimoine.
Ces archives peuvent-elles nourrir d’autres documentaires et recherches historiques ?
Bien sûr. Ce matériel est exceptionnel et ouvre d’immenses perspectives. Grâce au carnet d’adresses transmis par Labudović, j’ai pu rencontrer d’autres personnalités algériennes comme Lamine Bechichi, dont j’ai enregistré le témoignage avant son décès. Il reste beaucoup à explorer, notamment sur l’usage stratégique du cinéma par le FLN. Le film a servi d’outil diplomatique pour porter la lutte algérienne sur la scène internationale, en particulier à l’ONU. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Hélène Mokhtafi, figure du bureau du FLN à New York.
Vous préparez d’ailleurs un film consacré à Hélène Mokhtafi…
Oui. Elle apparaît dans Ciné-Guérilla, mais notre relation est devenue très forte et nous travaillons depuis cinq ans sur un documentaire centré sur elle. Nous avons tourné à New York, à l’ONU, à Paris et en Algérie. J’ai présenté quelques extraits pendant ce festival et j’espère finaliser le film l’année prochaine.



