Il est de ces artisans de l’ombre sans qui les films ne respireraient pas, ne vibreraient pas, ne vivraient tout simplement pas. Kamel Mekesser appartient à cette lignée rare, celle des ingénieurs du son qui sculptent l’invisible et donnent une âme aux images. Depuis près de cinquante ans, son nom se glisse discrètement au générique de chefs-d’œuvre algériens, égyptiens, français et internationaux. Pourtant, derrière cette modestie, se cache l’un des plus grands architectes sonores du monde arabe.
Tout commence dans les années 1970. Étudiant en sciences, passionné de physique et de mathématiques, Kamel Mekesser passe autant de temps sur ses bancs universitaires qu’à la Cinémathèque algérienne, où il nourrit son regard de futur technicien. Un appel à concours publié par la RTA change le cours de sa vie. Il y est admis, orienté vers le parcours « physique acoustique », une discipline à la croisée de ses passions : la rigueur scientifique et la magie du cinéma. Le son devient alors son langage, son métier, et très vite, son destin.
À peine deux ans de formation, en 1976, il est dépêché en Égypte sur le tournage du film de Youssef Chahine, « Le Retour de l’enfant prodigue ». Le maître, stupéfait, voit arriver ce jeune Algérien avec un matériel qu’aucun plateau cairote n’avait encore vu, un Nagra 4.2, des micros Beyer M160, et une méthode de travail ultra rigoureuse.
Dès lors, la réputation de Kamel Mekesser ne cesse de croître. Précision chirurgicale, écoute absolue, sens musical inné, sur chaque plateau, il impose une exigence qui élève les films et impressionne les cinéastes. Son nom se retrouve sur plus d’une soixantaine de longs métrages, parmi lesquels certaines pierres angulaires du cinéma maghrébin et arabe, dont « Omar Gatlato » (1976), « Nahla » (1979), « Radhia » (1991), « Touchia » (1992), « La Maison jaune » (2007), « Les Jours de cendre » (2013), « Le Sang des loups » (2019)… Chaque film devient pour lui un espace d’exploration, une architecture sonore à façonner, un monde à faire naître.
Mais Kamel Mekesser n’est pas seulement un technicien d’excellence. Il est un passeur, un pédagogue, un maître discret. Depuis plus de trente ans, il forme les futurs professionnels de la télévision algérienne, transmettant non seulement des techniques mais une véritable éthique, faite de respect du son, de patience, de justesse et d’une écoute au sens le plus profond du terme. Former, pour lui, n’est pas un acte secondaire mais plutôt un devoir, une manière de prolonger la vie d’un métier qu’il considère comme un art.
Ce qui fait la singularité de Kamel Mekesser, c’est son rapport au réel. Pour lui, un film ne s’entend pas seulement mais se respire, se ressent. Une voix trop haute peut écraser une émotion. Un silence mal capté peut effacer une vérité. Un pas mal enregistré peut trahir un personnage. Il capte les bruissements du monde comme d’autres sculptent la lumière. Dans ce geste patient, presque artisanal, il inscrit une part essentielle de la mémoire du cinéma algérien.
Aujourd’hui, son nom reste l’un des plus respectés du paysage audiovisuel maghrébin. À travers ses films, ses élèves et ses années de travail acharné, Kamel Mekesser a créé ce que peu de techniciens parviennent à accomplir, à savoir, une signature sonore, reconnaissable, sensible et intensément humaine.
Parce qu’un grand film, parfois, commence par une voix juste, un souffle maîtrisé, un silence parfaitement capté. Et parce que derrière chaque émotion ressentie dans une salle obscure, il y a, souvent, le travail invisible d’un homme comme lui.
Kamel Mekesser, l’orfèvre du son, aura donné au 7e art ce que l’on ne voit pas… mais ce que l’on n’oublie jamais.



