Restaurer un film, c’est d’abord le sauver. C’est avec cette phrase que Nabil Djedouani a captivé l’attention des étudiants venus nombreux lors de sa masterclass organisée, le 5 décembre 2025, au petit théâtre de l’Office Riadh El Feth, dans le cadre du Festival international du film d’Alger. Le cinéaste et chercheur, fondateur des Archives numériques du cinéma algérien, a raconté l’histoire passionnante de Tahar Hannache et de son film « Les Plongeurs du désert » (1952), un film que l’on croyait perdu et qui renaît aujourd’hui grâce à un travail minutieux et acharné. « Le cinéma, c’est une pellicule fragile qui se dégrade. Sans restauration, tout disparaît », explique-t-il. Dans le cas des films algériens, la mission ressemble souvent à une « course contre la montre ». Le patrimoine a été dispersé, abîmé, censuré ou simplement oublié. « Le destin du film Les Plongeurs du désert a frôlé l’oubli. L’œuvre avait presque disparu. Une seule trace subsistait, constituée de deux anciennes copies 16 mm, précieusement conservées par la fille du réalisateur. Des bobines marquées par le temps, parfois recollées, mais d’une valeur inestimable. Sans elles, le film aurait été perdu à jamais », confie Djedouani.
Commence alors le travail d’enquête avec les bobines qui sont numérisées image par image. Pas de négatif, pas de version complète. La copie retrouvée ne fait que 21 minutes. « On devine des coupes, des manques. Ça fait partie de l’histoire du film », glisse le restaurateur. Par la suite, arrive l’étape invisible qui transforme le fragile en vivant, à savoir stabiliser l’image, réparer les brûlures et atténuer les rayures. « On ne cherche pas à embellir. On cherche à faire revivre », précise Djedouani. Cette renaissance concerne aussi le film lui-même, un véritable acte presque politique. Pour le chercheur, restaurer un film, c’est un travail d’orfèvre et un combat contre le temps. « Les bobines retrouvées présentaient rayures, coupures et collures grossières, certaines images étaient littéralement tenues par un simple morceau de scotch. Le générique était dans un état catastrophique. La pellicule est un organisme vivant qui se dégrade physiquement et chimiquement, parfois à cause du syndrome du vinaigre. L’humidité, la chaleur et le temps ont laissé des traces irréversibles, comme des champignons effaçant mots et visages », explique-t-il.
Ensuite viennent les blessures plus sévères, avec des déchirures traversant chaque image et des trous laissés par des brûlures de projecteur. « Sans image propre avant ou après, le logiciel ne peut pas réparer », détaille le restaurateur. Il faut alors, selon lui, rogner légèrement le cadre pour sauver l’essentiel. Après ces réparations, commence le nettoyage minutieux de chaque centimètre de pellicule à la main, puis la numérisation image par image avec un scanner spécialisé. Chaque bande est ainsi capturée avec soin, prête à être traitée par le logiciel de restauration. Les rayures persistantes sont parfois conservées pour ne pas altérer l’authenticité des images. L’éthique prime, car il ne s’agit pas de coloriser ou de lisser le grain, mais de restituer le film tel qu’il a été tourné. Chaque plan est traité individuellement, image par image, puis vérifié à l’œil nu et corrigé à la palette graphique, 24 images par seconde ». La projection en ciné-concert a permis de recomposer la partition grâce à la séparation des pistes sonores ». En outre, Djedouani rappelle l’importance de la recherche documentaire. Photos de tournage, articles anciens, plans originaux du désert, chaque élément raconte un peu l’histoire et l’inspiration de Tahar Hannache. Pour finir Djedouani met en garde contre l’usage des images générées par intelligence artificielle. « Rien ne remplacera jamais la vraie recherche, les rencontres avec les familles et l’accès aux archives originales. L’IA peut créer des images séduisantes, mais elles ne racontent pas la véritable histoire du cinéma algérien ».



