À l’occasion de son 50e anniversaire, le chef-d’œuvre de Mohammed Lakhdar-Hamina, unique Palme d’or du cinéma algérien, a resurgi sur les écrans dans une version restaurée en 4K. Projeté à la salle Ibn Zeidoun dans le cadre du Festival international du film d’Alger. Un retour triomphal pour une œuvre devenue monument national. Une œuvre que l’on croyait presque figée dans les archives : Chronique des années de braise. Restaurée et réhabilitée, la fresque magistrale de Mohammed Lakhdar-Hamina aura été, sans doute, l’un des moments vibrants du festival. Projeté en film gala lors de la 4ème soirée du festival, ce film reste, cinquante ans après sa première sortie, l’un des jalons majeurs de l’histoire cinématographique du bassin méditerranéen. Silence attentif, émotion palpable : le public d’Alger a redécouvert cette fresque historique avec une intensité rare.
Une fresque historique qui raconte quinze ans de feu et de cendres
Sorti en 1975, Chronique des années de braise n’est pas seulement un film : c’est un continent entier. Un voyage dans les années qui précèdent le 1er novembre 1954, vu à travers le regard d’Ahmed, paysan exproprié devenu témoin des humiliations et des résistances d’un peuple soumis à la colonisation. Lakhdar Hamina y déroule un récit ample, découpé en six chapitres évocateurs qui composent une sorte d’épopée. Sécheresses, famines, confiscation des terres, violences administratives, Sétif 1945… chaque fragment raconte comment une société entière s’est enfoncée dans les ténèbres, avant que la révolte ne devienne inévitable. Libératrice.
Tourné entre Laghouat, Sour El Ghozlane et Ghardaïa, le film mêle l’authenticité rurale, la grandeur tragique et une mise en scène d’une puissance rare. La photographie de Marcello Gatti, la musique de Philippe Arthuys et la direction d’acteurs, entre professionnels et visages locaux, en font un monument de cinéma total. « Cette révolte est aussi celle de l’homme face à sa condition », disait Lakhdar-Hamina. C’est cette universalité qui a séduit le jury de Cannes en 1975, présidé par Jeanne Moreau, et lui a valu la seule Palme d’or remportée par un film algérien.
Une renaissance en 4K, supervisée juste avant la disparition du réalisateur
Après plusieurs décennies de circulation sporadique, parfois confidentielle, Chronique des années de braise renaît en 2025 grâce à une restauration 4K menée sous l’égide de l’African Film Heritage Project (World Cinema Project, FEPACI, UNESCO et Cineteca di Bologna).
Ironie du destin : Mohammed Lakhdar Hamina est décédé le 23 mai 2025, le jour même de la projection commémorative du film à Cannes Classics.
Cette restauration a redonné au film son souffle originel, la chaleur ocre des paysages, la densité du noir, la texture de la lumière, rendant justice à son ambition esthétique colossale. Sortie en salles en France en août 2025, elle a permis à une nouvelle génération de découvrir une œuvre longtemps reléguée dans l’ombre des rétrospectives. À l’heure où les cinémas du monde replongent dans leur propre passé pour mieux comprendre le présent, Chronique des années de braise apparaît plus pertinent que jamais. Non pas comme relique, mais comme rappel : toute révolution naît d’une accumulation de blessures et d’un refus obstiné de l’injustice. Mohammed Lakhdar Hamina laisse derrière lui un legs immense : celui d’avoir filmé, sans emphase inutile, ce qui faisait battre le cœur d’un peuple. Son film, disait-il, est « une vision personnelle appuyée sur des faits précis ». Cinquante ans plus tard, cette vision nous revient avec une clarté bouleversante.



