Soy Cuba n’est pas un film, c’est une transe. Tourné en 1964 par le Soviétique Mikhail Kalatozov, avec une liberté presque insolente, ce projet de coproduction cubano-soviétique a superbement célébré la Révolution cubaine.
Un objet cinématographique magnifique où le génie du soviète Kalatozov a laissé libre court à son talent à tel point où son film, peu valorisé à sa sortie, devint trente ans plus tard, un modèle pour Scorsese, Coppola et toute une génération de cinéastes.
Une orgie technique qui fait encore rougir les drones d’aujourd’hui
Oubliez les effets spéciaux ! Tout est fait à l’ancienne, avec une caméra à l’épaule, des grues artisanales et une audace qui frôle la folie furieuse. Sergueï Ouroussevski, directeur de la photographie, signe ici l’un des plus grands exploits de l’histoire du cinéma. Des plans-séquences de plusieurs minutes qui traversent des étages d’hôtel bondés, plongent dans une piscine, survolent les champs de canne à sucre ou suivent une manifestation funéraire dans les rues de La Havane comme si la caméra flottait dans l’air. Le noir et blanc est d’une beauté déchirante, presque charnelle ; la lumière sculpte les visages, la fumée, la sueur et la mer avec une sensualité tragique.
On parle souvent du fameux plan de la terrasse d’hôtel qui descend jusqu’à la piscine en passant par-dessus les parasols : il reste, soixante ans après, l’une des plus belles prouesses jamais réalisées sans filet numérique.
Quatre nouvelles, une seule voix : Cuba elle-même
Le film est structuré en quatre épisodes reliés par la voix-off de l’île («Soy cuba- Je suis Cuba »), murmurée avec une ferveur lyrique. On suit une jeune femme exploitée dans les bars de touristes de La Havane, un paysan brûlant sa canne à sucre face à l’expulsion, des étudiants révoltés, puis les guérilleros dans la Sierra Maestra. Le message est limpide.
L’échec, d’hier, devenu légende d’aujourd’hui
Flop à sa sortie. Car jugé trop sophistiqué pour le réalisme socialiste de l’époque, trop « russe » pour les Cubains, trop long et trop lent. Le film disparaît dans les caves pendant des décennies. Il faudra que Martin Scorsese et Francis Ford Coppola tombent dessus par hasard dans les années 90 pour qu’il soit restauré et devienne l’objet de culte qu’il est aujourd’hui.
Même si le communisme semble de la vielle histoire aujourd’hui, le message politique n’a pris une seule ride. La lutte des peuples finit toujours par payer et les cause justes triomphe indéniablement. Soy Cuba n’est pas un film à comprendre, c’est un film à ressentir. Une symphonie visuelle, un trip sensoriel, une claque plastique qui laisse pantois.
Les amateurs de cinéma qui invente ses propres lois, n’en sortiront pas indemne.
Un chef-d’œuvre absolu.



