Invitée pour présenter son documentaire consacré à la figure du « bandit social » brésilien Lampião, Narimane Baba Aïssa revient sur la genèse du film coréalisé avec Lucas (absent lors de l’entretien) et sur son immersion au sein du MST, Mouvement des Sans Terre. Entre militantisme, héritage populaire et mémoire encore vive au Brésil, la réalisatrice raconte comment ce projet est né d’une rencontre humaine et politique.
Qu’est-ce qui vous a amenés à filmer au Brésil et à vous intéresser à ce sujet ?
Nous sommes deux réalisateurs. Lucas n’est pas présent aujourd’hui, mais c’est un travail commun. La rencontre s’est faite par le militantisme, chacun venant d’un parcours différent. Lucas travaille sur l’éducation populaire, et moi j’ai longtemps milité sur le droit au logement en France.
Lorsque nous partons au Brésil, c’est avec l’envie de rencontrer les militants du Mouvement des Sans Terre (MST), actif depuis 1984. Au départ, tout naît d’un lien de camaraderie : nous les accompagnons, réalisons des vidéos internes, chacun mettant ses compétences au service de la lutte. Je fais le son, Lucas l’image.
De là est née l’idée d’un film autour du mouvement et de cette figure mythique du bandit social, que nous connaissions déjà à travers notre lien avec le Brésil.
Pourquoi avoir choisi la figure de Lampião ?
Parce qu’il incarne un mythe profondément ancré dans les imaginaires populaires. Lampião, qui a réellement existé, représente ce héros vengeur dont rêvent tous ceux qui se sentent opprimés : un homme qui se révolte, qui reprend les armes, qui attaque les puissants.
Nous voulions interroger les militants du MST : s’identifient-ils à une figure aussi radicale, parfois violente, mais qui disait lutter pour la terre et les paysans pauvres ?
Et nous avons découvert que oui, il existe chez eux une forme d’héritage, de projection. De là est né un film-poème sur la résistance en période sombre, notamment sous Bolsonaro, où la violence fasciste ressurgit. Le cinéma devient un outil pour continuer d’imaginer un futur meilleur, pour garder le courage de lutter.
Lampião est souvent représenté comme un roi du Sertão (région du nord du Brésil), un justicier armé. Comment percevez-vous cette ambivalence ?
C’était un personnage extrêmement ambivalent. Il redistribuait parfois, mais il a aussi utilisé la violence pour son propre compte. Au Brésil, il est encore abordé avec précaution, car il fascine autant qu’il dérange. Mais pour une population marquée par la colonisation, l’esclavage, et les inégalités structurelles, son image radicale offre un espace symbolique : quelqu’un qui ose aller au bout, qui prend une revanche au nom du peuple. Cette tension nourrit tout l’intérêt du sujet.
L’héritage de Lampião est encore très vivant. Comment s’exprime-t-il aujourd’hui dans la culture brésilienne ?
Ce n’est pas du folklore figé : c’est une mémoire vivante. On retrouve Lampião dans le cinéma brésilien des années 1960-70, dans le cinéma novo, mais aussi dans des films contemporains.
De nombreuses œuvres continuent de le citer explicitement ou implicitement, comme figure de vengeance et de révolte populaire. Des troupes artistiques, comme celle que l’on voit dans le film, perpétuent la danse de Lampião, réutilisent ses codes visuels, ses costumes, ses armes. Cette iconographie sert encore à mobiliser, transmettre, inspirer.


